Constance A. MORELLA, Ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'OCDE.
Question : Constance, que t'inspirent les élections présidentielles en France en tant qu'observateur étranger au débat ? Je rappelle que tu as assisté au meeting de Nicolas Sarkozy Bercy le 29 avril dernier.
Constance A. MORELLA : Comme j'avais déjà eut l'occasion de le dire lors mon interview donné à NSTV (Nicolas Sarkozy TV) à l'issue du meeting de Nicolas Sarkozy à Bercy, j'ai tout d'abord été très impressionnée par la mobilisation militante dans les deux camps. J'ai également noté un très fort intérêt des Français pour cette élection. La participation aux deux tours, très élevée, est un modèle pour les démocraties. La France est redevenue le pays référence pour le déroulement du débat démocratique et l'engagement des citoyens dans la vie publique. Vu des Etats-Unis, où nous connaissons des taux de participations aux alentours de 50%, cela devrait nous pousser à réfléchir afin de redonner aux américains le goût de la politique. Concernant le résultat, en tant que diplomate je ne peux prendre position, mais je relève que votre Président nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, veut réformer la façon de faire de la politique et veut relancer la construction européenne. En ce qui concerne la relation entre la France et les Etats-Unis, il veut avoir une relation amicale où tous les sujets sont abordés avec franchise mais sans concessions. La France et les Etats-Unis sont des alliés, des amis, depuis toujours et il arrive que des amis ne soient pas d'accord sur tout, c'est normal et c'est sain.
Tine AURVIG-HUGGENBERGER, Vice-Présidente de la Confédération Syndicale Danoise.
Question : Madame, durant la campagne électorale française, les pays du nord de l'Europe ont souvent été cités comme des exemples pour la réussite de leur modèle social associé à une flexibilité du monde du travail. Pensez-vous que cette "flexi-sécurité" soit applicable en France ?
Tine AURVIG-HUGGENBERGER : En effet, cette dernière année nous avons vu de multiples délégations de différents mouvements politiques, de syndicats, de Think-Tanks français venir étudier notre modèle de flexibilité du travail associé à une politique sociale, financée par les impôts, très protectrice. D'après ce que j'ai vu du débat politique durant votre campagne électorale, chaque candidat n'a retenu qu'une partie de cette "flexi-sécurité". Plus de flexibilité pour monsieur Sarkozy, plus de sécurité pour madame Royal. Or l'un ne va pas sans l'autre. De plus, nous sommes un petit pays avec un taux de chômage très bas, environ 3%, et une bonne croissance économique. Je ne suis pas persuadée que la "flexi-sécurité" soit transposable tel quel en France sans créer de tensions sociales. Néanmoins la forte légitimité que monsieur Sarkozy tire de son bon score aux élections, et celle qu'il tirera des élections législatives en cas de victoire, devrait pouvoir lui permettre de négocier avec les partenaire sociaux un assouplissement du droit du travail en contrepartie de garanties meilleures pour les salariés en cas de chômage. Mais cela implique également la mise en place d'un dispositif efficace d'aide à la recherche d'un travail pour les chômeurs. Je vais donc suivre avec beaucoup d'intérêts les réformes qui vont être mises en place en France dans les prochains mois.
John J. SWEENEY, Président de l'AFLCIO, fédération américaine de syndicats.
Question : Nous avons en France de nombreuses réglementations concernant notamment la durée du travail, les heures supplémentaires, l'âge légal de départ à la retraite. Comment comprenez-vous cela vu des Etats-Unis ?
John J. SWEENEY : Il est vrai que je suis toujours surpris par l'ensemble des règles qui régissent le droit du travail français et notamment votre Code du Travail qui comprend plus de mille pages. Il est vrai que les travailleurs doivent être protégés et que le modèle social français fait des envieux dans notre pays où 45 millions de travailleurs n'ont aucune couverture sociale. Mais je constate également que trop de protection tue l'emploi. Il est nécessaire de protéger le faible face au puissant, mais il ne faut pas décourager l'entrepreneur de créer des emplois, ou l'inciter à les créer à l'étranger. Les travailleurs qui veulent pouvoir travailler plus longtemps en terme d'horaire de travail comme en terme de date de départ à la retraite devraient pouvoir le faire. L'emploi crée l'emploi. Contrairement à ce que l'on pense trop souvent en France, le travail n'est pas un gâteau que l'on doit partager entre les travailleurs, avec des parts de plus en plus petites. Le travail des cinquantenaires, voire des soixantenaire, ne prive pas de travail les jeunes, mais crée de la richesse qui va créer de nouveau emplois. La richesse crée de la richesse et la pauvreté de la pauvreté.
Guy RYDER, Secrétaire Général De la Confédération Syndicale Internationale.
Question : Monsieur Ryder, durant votre intervention, vous avez évoqué le fait que la mondialisation représente à la fois un atout et un danger pour les salariés. Ne pensez-vous pas que les salaries des pays où le taux de syndicalisation est très élevé, comme les pays du nord de l'Europe par exemple, seront plus à même de tirer avantage de la mondialisation que les salariés des pays où le taux de syndicalisation est faible, voire très faible, comme la France.
Guy RYDER : En effet, les salariés des pays où plus de 80% d'entre eux sont syndiqués sont plus puissants pour imposer une meilleure répartition des gains de la mondialisation. Il faut noter que dans les pays du nord de l'Europe, les salaires sont en moyenne plus élevés qu'en France par exemple, la répartition des richesses y est donc meilleures. Il est vrai que la France connaît un taux de syndicalisation parmi les plus faible d'Europe. De plus la majeure partie des salariés syndiqués sont ceux des services publics. Les salariés du secteur privés, moins bien représentés, ne participent pas à l'établissement des règles de la mondialisation, mais la subissent. Le cas d'Airbus en est une parfaite illustration, une participation minime des salariés aux résultats de l'entreprise et des dividendes maximum pour les actionnaires. La mondialisation est inéluctable, il faut ouvrir les yeux. Il vaut mieux faire partie du changement et en tirer profit dès maintenant plutôt que de le subir dans dix ans quand nous aurons ouvert les yeux.
Dominique BAUDIS, Président de l'Institut du Monde Arabe.
Question : Durant la campagne électorale française qui vient de s'achever, les questions internationales ont été assez peu abordées. Néanmois, le Président élu, Nicolas SARKOZY, qui prendra ses fonction demain a évoqué la question de la création d'une Union Méditerranéenne. Que pensez-vous de cette initiative ?
Dominique BAUDIS : Nous entrons en effet dans une nouvelle phase de la politique française avec l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. J'ai été très attentif à sa déclaration, dès le soir de son élection,concernant cette création d'une Union Méditerranéenne. C'est une perspective dynamique dans laquelle l'IMA peut être concernée en raison de son action depuis 20 ans en faveur du dialogue entre les rives nord et sud de la méditerranée. Il convient toutefois d'en déterminer les contours et les ambitions. Au niveau économique les différences entre le nord et le sud de cette région sont fortes et il me semble difficile de parvenir à une intégration économique avec des délégations de compétences similaires à celles de l'UE. Il est également important d'en définir le périmètre : le sud de l'Europe (Espagne, France, Itale, Malte, Grèce, voire les pays du Balkan), la Turquie, le Maghreb, le Liban, la Syrie, l'Egypte et Israël. Est-il envisageable d'engager un processus avec l'ensemble de ces pays sans que certains en récusent d'autres ? Les questions sont multiples, mais les bénéfices d'une telle union sont importants aussi bien en terme de diffusion des valeurs, tels les droits de l'Homme en général et ceux de la femme en particulier, le développement des valeurs démocratiques et la bonne gouvernance politique et économique. Les propos et la démarche de Nicolas Sarkozy sont des signes forts addressés aux pays riverains du sud et de l'est de la méditéranée et constitue un défis que nous devons tous relever.
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